Souvenirs d Itzer
Itzer de mes imaginaires, mes peurs et mon enfance: Par Majid Blal. https://www.facebook.com/Mjidblal?fref=ts
Il n' y avait ni télévision ni activités culturelles à part bien sur aller au café central pour jouer au Baby foot et d'exercer sa capacité à faire sonner la balle au fond des buts avec la technique du Qarsse (pincée).
Même l'unique post de radio était séquestré et réquisitionné à plein par le père dieu qui passait ses ondes courtes de la radio BBC à la radio du Caire, à radio de Tripoli et ainsi de suite faire la chasse aux nouvelles surtout qu'il y avait chez les adultes de cette époque une volonté de transgresser la peur de se voir accuser d'atteinte à l'état en écoutant des transmissions étrangères, souvent hostiles.
La seule radio qui nous était accessible était un transistor Sharp six qui se tenait dans la main comme on tient un Ipod de nos jours. Petit radio au son grinchant, grinçant autour duquel, emmitouflés dans nos Djellabas de laine ou de khizrane pour les plus pauvres, nous nous entourions adossés au mur de l'école qui servait de paravent contre le zéphire glacial qui plombait les conjonctions de nos mains de gamins pour en faire des jointures fêlées et ensanglantées. Ce vent froid qui descendait direct en rafales du couloir entre le haut Atlas et le moyen Atlas et qui s'engouffrait dans la rue entre ma maison et l'école primaire pour ensuite se propager dans le petit parc qui me servait de terrain de jeu.
Nous nous collions autour de la voix qui vient d'ailleurs pour suivre les matchs de l'équipe nationale de football, tout en permettant à nos imaginations de sublimer, d'exagérer, de mythifier et de magnifier les exploits des joueurs ou parfois uniquement les aptitudes moyennes de nos héros.
Le petit Sharp nous permettait également l'évasion dans l'univers fantastique, fantasmagorique et magique des pièces de théâtre radiophonique. Aljoundi avec sa voix de ténor dans le rôle da Saïf dou Al yazal en perpétuel guerre contre le mal et les esprits maléfiques des Aquissa, Squedrisse et Squerdioune...
Nous n'avions peur de rien dans le monde des vivants. nous nous tapions des kilomètres à pieds pour aller pêcher du Barbot à Sidi Saïd sur le chemin vers Boumia. À la pêche avec nos cannes à pêches rudimentaires où le flotteur était fait de bouchon de liège Lessieur et le poids était constitué d'un peu de plomb subtilisé à la tuyauterie de plomberie. Sur le chemin du retour on s'arrêtait au milieu des cigales et des buissons à l'air hostile et sec pour cueillir de la mente sauvage (Fliou), des grains de Harmel ( Peganum Harmala) qui est une plante médicinale mais toxique quand on ne sait s'en servir et bien sur des pois chiches tendres dans les champs au bord du chemin.
Nous n'avions peur de rien tant que la lumière du jour est protectrice des esprits malfaisants. Nous partions vers Tichoute par la foret dense pour cueillir des glands de chênes, nous passions devant el Gourna (Abattoir isolé) pour aller longer la rivière jusqu'à Boulajoultout en sentant les effluves de ce bosquet nommé Alegou avec lequel les fours publics chauffaient et qui donnait aux miches un arome délicieuse et spécifique à la région.
Nous allions souvent aussi loin qu'à Aderj avec nos bouteilles d'eau car en plein soleil, le risque de se déshydrater était présent constamment. Aderj, vieux plateau calcaire en tablier au pied duquel les colons français s'exerçaient au tir. Nous y ramassions des balles de mitrailleuses, de fusils, des douilles et parfois le reste d'obus éclatés pour les vendre comme cuivre à la pesée au père Qzadri. Qzadri connaissait bien mon père et je m'arrangeais toujours pour que ce soit un autre qui y allait faire la transaction avec bien sur une commission.
Je me faisais mon argent de poche ainsi et aussi en chassant la huppe ( elhoudhoud) que je vendais le lundi du marché hebdomadaire aux marchands de talismans et de grigris que les femmes en quête de secrets pour envouter les hommes se hâtaient d'acheter aux charlatans. Huppes que je traquais dans le petit bois des gardes forestiers avec ma carabine neuf millimètres que mon père m'avait offerte en espérant faire de moi un guerrier amazigh...
Oui, je n'avais peur de rien sauf de mon père et des esprits maléfiques...
Je n'avais peur que de la nuit et du père dieu. Nos vies se limitaient aux histoires d'horreurs que les gens se racontaient dans les chaumières pour passer le temps. Il y avait cet épicier à Foug Essaguia de qui on disait, qu'il a vendu son âme à Aïcha Qendicha, la pire des envouteuses parmi les démoniaques Djinns ( diabolique). Il parait qu'il sortait chaque nuit pour aller la rejoindre à El Gourna, l'abattoir où le la mise à mort des animaux ensanglantait le paysage. Nous n'avions qu'environ dix ans chacun et nous passions, mine de rien, devant la boutique du monsieur en se lançant des défis pour qui oserait aller acheter des bonbons.
Je n'avais peur que des bruits suspects la nuit, même que des fois des résonances de sabots qui trainaint des chaines de fer me parvenaient pendant mon sommeil la nuit et que je ne pouvais même pas allumer la lumière vu que nous étions "électrifiés" par un groupe électrogène qui fonctionnait inclusivement de 18h à 23h chaque jour. Mon père, nous expliquait que les voleurs de charpentes qui venaient piquer les madriers de coopérative de bûcheron, arrimaient des chaines à leurs mules pour faire peur aux gens. La Mule des Cimetières ( Tassardounte n'Issemdale) était un autre sujet de nos peurs communes. Cet être hideux et imaginaire qui sortait les nuits de pleine lune des catacombes pour terroriser la population et faire des victimes.
Puis un jour, en inaugurant la nouvelle maison de la Jeunesse et des Sports, avec Fatima Ghanem épouse de l'enseignant El Yazami à la direction de l'organisme, nous avions vu débarquer El zaari le projectionniste avec ses énormes rouleaux de pellicules. Il venait une fois par mois et des fois aux quinze jours pour des séances de cinématographe. Mes premiers films western avec les Gary Cooper, William Holden...mes premiers films hindi avec Samy Kapour, Asha parekh...ety ce fut la révélation. Mon imaginaire avait trouvé un ancrage réel, un exutoire, un lieu qui sentait la pellicule brulée, la pellicule qui crépitait pendant la projection et qui me transportait loin, très loin...
J'avais l'autorisation parentale d'aller au cinéma, mais j'avais aussi le problème de ma peur de traverser le petit parc dans la pénombre en revenant la nuit à la maison après le film. Je tremblais, je lisais des sourates apprises par cœur (ayat el koursi), je me faisais plus petit que je n'étais et je me posais la question de savoir si visionner un film était plus important que ma épouvante de la nuit...
Un été de 1968, je fus reçu au secondaire avec une bourse en prime. Élève brillant et troisième de la province, mon père était fier et heureux que je puisse rentrer à l'internat du collège El Ayachi à Midelt à l'âge de 11 ans.
C'était dur et violent car à l'époque, il n y avait que quelques petits, les autres élèves étaient très âgés et frisaient parfois les dix huit ans pour le premier cycle du secondaire. Cela m' avait endurci ou du moins, j'avais l'impression d'être devenu plus rude, coriace et moins peureux. J'avais surfé sur cette perception et en revenant pour les vacances d'été suivantes, je m'étais donné comme défi d'aller narguer les esprits et Aicha Qendicha à l'abattoir El gourna) en traversant le cimetière qui y menait. Il fallait que je m'affronte.
Chose dite, chose faite. Pendant la brunante d'une belle journée qui se couchait par dessus nos têtes sur la canopée au dessus des feuilles ciselées des chênes, j'avais entrepris mon expédition solitaire vers le destin de mes craintes à exorciser. J'avais marché comme un homme sur vers El Gourna tout en tremblotant, en frémissant mais décidé et déterminé à en découdre avec le esprits s'ils existaient. Plus je marchais, plus je devenais insolent, agressif au point de commencer, par besoin d'assurance, à provoquer tous les fantômes, tous les esprits, tous les Djinns...Ils n'avaient qu'à se tenir cachés car Majid Le grand Blek LeRoc était en campagne de pacification.
C'est ainsi que j'ai vaincu mes peurs de toutes ces entités héritées par les imaginaires collectifs.
Depuis ce jour, j'ai changé de fusil d'épaule et j'ai commencé à me méfier de l'humain, de l'homme.
Majid Blal, Sherbrooke, le 22 septembre 2014
Photo :Kassemi Mohamed
le N 4 Majid Blal Itzer début des années 70!
Itzer de mes imaginaires, mes peurs et mon enfance: Par Majid Blal. https://www.facebook.com/Mjidblal?fref=ts
Il n' y avait ni télévision ni activités culturelles à part bien sur aller au café central pour jouer au Baby foot et d'exercer sa capacité à faire sonner la balle au fond des buts avec la technique du Qarsse (pincée).
Même l'unique post de radio était séquestré et réquisitionné à plein par le père dieu qui passait ses ondes courtes de la radio BBC à la radio du Caire, à radio de Tripoli et ainsi de suite faire la chasse aux nouvelles surtout qu'il y avait chez les adultes de cette époque une volonté de transgresser la peur de se voir accuser d'atteinte à l'état en écoutant des transmissions étrangères, souvent hostiles.
La seule radio qui nous était accessible était un transistor Sharp six qui se tenait dans la main comme on tient un Ipod de nos jours. Petit radio au son grinchant, grinçant autour duquel, emmitouflés dans nos Djellabas de laine ou de khizrane pour les plus pauvres, nous nous entourions adossés au mur de l'école qui servait de paravent contre le zéphire glacial qui plombait les conjonctions de nos mains de gamins pour en faire des jointures fêlées et ensanglantées. Ce vent froid qui descendait direct en rafales du couloir entre le haut Atlas et le moyen Atlas et qui s'engouffrait dans la rue entre ma maison et l'école primaire pour ensuite se propager dans le petit parc qui me servait de terrain de jeu.
Nous nous collions autour de la voix qui vient d'ailleurs pour suivre les matchs de l'équipe nationale de football, tout en permettant à nos imaginations de sublimer, d'exagérer, de mythifier et de magnifier les exploits des joueurs ou parfois uniquement les aptitudes moyennes de nos héros.
Le petit Sharp nous permettait également l'évasion dans l'univers fantastique, fantasmagorique et magique des pièces de théâtre radiophonique. Aljoundi avec sa voix de ténor dans le rôle da Saïf dou Al yazal en perpétuel guerre contre le mal et les esprits maléfiques des Aquissa, Squedrisse et Squerdioune...
Nous n'avions peur de rien dans le monde des vivants. nous nous tapions des kilomètres à pieds pour aller pêcher du Barbot à Sidi Saïd sur le chemin vers Boumia. À la pêche avec nos cannes à pêches rudimentaires où le flotteur était fait de bouchon de liège Lessieur et le poids était constitué d'un peu de plomb subtilisé à la tuyauterie de plomberie. Sur le chemin du retour on s'arrêtait au milieu des cigales et des buissons à l'air hostile et sec pour cueillir de la mente sauvage (Fliou), des grains de Harmel ( Peganum Harmala) qui est une plante médicinale mais toxique quand on ne sait s'en servir et bien sur des pois chiches tendres dans les champs au bord du chemin.
Nous n'avions peur de rien tant que la lumière du jour est protectrice des esprits malfaisants. Nous partions vers Tichoute par la foret dense pour cueillir des glands de chênes, nous passions devant el Gourna (Abattoir isolé) pour aller longer la rivière jusqu'à Boulajoultout en sentant les effluves de ce bosquet nommé Alegou avec lequel les fours publics chauffaient et qui donnait aux miches un arome délicieuse et spécifique à la région.
Nous allions souvent aussi loin qu'à Aderj avec nos bouteilles d'eau car en plein soleil, le risque de se déshydrater était présent constamment. Aderj, vieux plateau calcaire en tablier au pied duquel les colons français s'exerçaient au tir. Nous y ramassions des balles de mitrailleuses, de fusils, des douilles et parfois le reste d'obus éclatés pour les vendre comme cuivre à la pesée au père Qzadri. Qzadri connaissait bien mon père et je m'arrangeais toujours pour que ce soit un autre qui y allait faire la transaction avec bien sur une commission.
Je me faisais mon argent de poche ainsi et aussi en chassant la huppe ( elhoudhoud) que je vendais le lundi du marché hebdomadaire aux marchands de talismans et de grigris que les femmes en quête de secrets pour envouter les hommes se hâtaient d'acheter aux charlatans. Huppes que je traquais dans le petit bois des gardes forestiers avec ma carabine neuf millimètres que mon père m'avait offerte en espérant faire de moi un guerrier amazigh...
Oui, je n'avais peur de rien sauf de mon père et des esprits maléfiques...
Je n'avais peur que de la nuit et du père dieu. Nos vies se limitaient aux histoires d'horreurs que les gens se racontaient dans les chaumières pour passer le temps. Il y avait cet épicier à Foug Essaguia de qui on disait, qu'il a vendu son âme à Aïcha Qendicha, la pire des envouteuses parmi les démoniaques Djinns ( diabolique). Il parait qu'il sortait chaque nuit pour aller la rejoindre à El Gourna, l'abattoir où le la mise à mort des animaux ensanglantait le paysage. Nous n'avions qu'environ dix ans chacun et nous passions, mine de rien, devant la boutique du monsieur en se lançant des défis pour qui oserait aller acheter des bonbons.
Je n'avais peur que des bruits suspects la nuit, même que des fois des résonances de sabots qui trainaint des chaines de fer me parvenaient pendant mon sommeil la nuit et que je ne pouvais même pas allumer la lumière vu que nous étions "électrifiés" par un groupe électrogène qui fonctionnait inclusivement de 18h à 23h chaque jour. Mon père, nous expliquait que les voleurs de charpentes qui venaient piquer les madriers de coopérative de bûcheron, arrimaient des chaines à leurs mules pour faire peur aux gens. La Mule des Cimetières ( Tassardounte n'Issemdale) était un autre sujet de nos peurs communes. Cet être hideux et imaginaire qui sortait les nuits de pleine lune des catacombes pour terroriser la population et faire des victimes.
Puis un jour, en inaugurant la nouvelle maison de la Jeunesse et des Sports, avec Fatima Ghanem épouse de l'enseignant El Yazami à la direction de l'organisme, nous avions vu débarquer El zaari le projectionniste avec ses énormes rouleaux de pellicules. Il venait une fois par mois et des fois aux quinze jours pour des séances de cinématographe. Mes premiers films western avec les Gary Cooper, William Holden...mes premiers films hindi avec Samy Kapour, Asha parekh...ety ce fut la révélation. Mon imaginaire avait trouvé un ancrage réel, un exutoire, un lieu qui sentait la pellicule brulée, la pellicule qui crépitait pendant la projection et qui me transportait loin, très loin...
J'avais l'autorisation parentale d'aller au cinéma, mais j'avais aussi le problème de ma peur de traverser le petit parc dans la pénombre en revenant la nuit à la maison après le film. Je tremblais, je lisais des sourates apprises par cœur (ayat el koursi), je me faisais plus petit que je n'étais et je me posais la question de savoir si visionner un film était plus important que ma épouvante de la nuit...
Un été de 1968, je fus reçu au secondaire avec une bourse en prime. Élève brillant et troisième de la province, mon père était fier et heureux que je puisse rentrer à l'internat du collège El Ayachi à Midelt à l'âge de 11 ans.
C'était dur et violent car à l'époque, il n y avait que quelques petits, les autres élèves étaient très âgés et frisaient parfois les dix huit ans pour le premier cycle du secondaire. Cela m' avait endurci ou du moins, j'avais l'impression d'être devenu plus rude, coriace et moins peureux. J'avais surfé sur cette perception et en revenant pour les vacances d'été suivantes, je m'étais donné comme défi d'aller narguer les esprits et Aicha Qendicha à l'abattoir El gourna) en traversant le cimetière qui y menait. Il fallait que je m'affronte.
Chose dite, chose faite. Pendant la brunante d'une belle journée qui se couchait par dessus nos têtes sur la canopée au dessus des feuilles ciselées des chênes, j'avais entrepris mon expédition solitaire vers le destin de mes craintes à exorciser. J'avais marché comme un homme sur vers El Gourna tout en tremblotant, en frémissant mais décidé et déterminé à en découdre avec le esprits s'ils existaient. Plus je marchais, plus je devenais insolent, agressif au point de commencer, par besoin d'assurance, à provoquer tous les fantômes, tous les esprits, tous les Djinns...Ils n'avaient qu'à se tenir cachés car Majid Le grand Blek LeRoc était en campagne de pacification.
C'est ainsi que j'ai vaincu mes peurs de toutes ces entités héritées par les imaginaires collectifs.
Depuis ce jour, j'ai changé de fusil d'épaule et j'ai commencé à me méfier de l'humain, de l'homme.
Majid Blal, Sherbrooke, le 22 septembre 2014
Photo :Kassemi Mohamed
le N 4 Majid Blal Itzer début des années 70!
Bravo Majid.Ce récit serait-il un extrait d'un roman?
RépondreSupprimer(Abidi Abdelmoughit).
Bravo Majid.Ce récit serait-il un extrait d'un roman?
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